Une remarquable découverte archéologique religieuse
Pour installer un séchoir à tabac sur un de leurs champs à la Baudonnière, commune de Champagné-Saint-Hilaire, les frères Poupard dans les années 1960, ont fait faire un terrassement. Celui-ci a fait apparaître un bloc calcaire présentant des sculptures sur quatre faces. Il s'agit d'un dé quadrangulaire de 0,76 m de côté et de 0,47 m de haut, pesant une bonne tonne.
Taranis dieu du ciel et de l'orage - Jupiter
En fait il devait s'agir d'un cube dont les quatre faces égales ont été réduites; ce qui fait que les quatre figures divines sculptées ont perdu une partie de leurs attributs. Cependant, François Eygun (1898-1973), directeur des Antiquités Historiques de Poitiers a pu en identifier trois avec certitude. Il s'agit de Jupiter barbu, avec un péplum sur l'épaule et le sceptre, de Minerve casquée et cuirassée tenant une hampe, et de Vénus soulevant son voile de la main gauche. Le quatrième personnage, lui aussi barbu pourrait être le dieu guérisseur Esculape, ou le dieu forgeron Vulcain.
Chacun des personnages est encadré par deux pilastres d'angles, à chapiteaux moulurés et surmontés d'une corniche à trois étages.
Une interprétation : un élément de sanctuaire rural
Avec la "pierre à quatre divinités" ont été retrouvés des blocs de gros appareil, un tambour de colonne striée (cannelures de deux diamètres alternées) et des débris de corniche. La colonne cannelée est d’un diamètre tel qu’elle peut supposer un édifice important.
Cette « pierre aux quatre divinités » est donc peut-être ce qu'il reste de ce que les archéologues appellent« un sanctuaire rural ». Etant donné l'absence de vestiges architecturaux, comme à Sanxay par exemple, il s'agirait d'un sanctuaire modeste et local. L'existence de villas gallo-romaines sur le territoire environnant est certaine : elle est attestée sous l'église du bourg de Champagné-Saint-Hilaire et sur le lieu-dit « Les Châteaux » près de Says. Elle est très probable à l'emplacement de la ferme de Moreau. Ce serait donc essentiellement pour ces populations qu'un édicule religieux aurait été mis en place. A-t-il été accompagné d'édifices complémentaires plus importants, en bois par exemple, et qui seraient disparus ?
Epona déesse de l'équitation ou Vénus
Une autre interprétation : un autel votif
C’est l’une des “pierres aux quatre divinités” qui ont été découvertes dans la Vienne, notamment à Baptresse, commune de Vivonne et au Gué de Sciaux à Antigny. Elle est d'un modèle qui est connu surtout en Gaule de l'Est, notamment dans les régions rhénanes. L'archéologue belge Haug en a établi dans les années 1920 une liste de 270.
Les quatre divinités gallo-romaines sont inspirées de l'univers mythologique celtique. Elles donnent donc à penser que ce dé sculpté date du Premier siècle après-Jésus Christ, époque où Rome phagocyte la religion gauloise. Mais, faute d'avoir sa partie basse où aurait pu être inscrite une dédicace, son rôle reste incertain. La présence du tambour de colonne cannelée peut signifier que comme en Belgique, comme à Mayence ou comme le pilier des nautes à Paris, il s'agit de la base d'une colonne dédiée à Jupiter, le dieu suprême.
Mais la modicité de la population locale et l'exemple de Baptresse, laissent plutôt à penser qu'il s'agit d'un autel votif. Un autel votif servait à demander une faveur, à témoigner sa reconnaissance, à garantir la protection du dieu lors d'entreprises périlleuses, en échange d'offrandes qui pouvaient être des sacrifices.
Colonne de Jupiter au Mont Dol
Schéma d'un autel votif
Piliers des nautes à Paris
La forte empreinte de la culture romaine
La population du lieu, ou peut-être un notable a pu payer des lapicides (tailleurs et graveurs de pierre) pour honorer des divinités celtes devenues gallo-romaines. On peut imaginer qu'ils ont voulu, selon la coutume romaine, associer à chaque dieu, sa parèdre, la déeesse qui l'accompagne mais qui n'est pas forcément son épouse. Ainsi, Taranis, dieu du Ciel et de l'Orage, et Rosmerta, déesse de la fertilité, figureraient sous les traits de Jupiter maître des Cieux et de Vénus, déesse de la beauté et de la maternité. Bélénos, dieu lumineux et médecin, et Belisama, déesse à la fois du foyer, des forgerons et des sources thermales seraient assimilés à un Vulcain/Esculape et à Minerve, déesse de la fureur guerrière, de la stratégie et de l'intelligence.
Selon François Eygun, ce sont « des artistes locaux, habitués à tailler la belle pierre calcaire du pays qui ont sculpté les bas-reliefs. Et sans atteindre au grand art, leurs productions prouvent une certaine aisance, et une connaissance de la mythologie de l‘envahisseur »
Esus dieu de la force ou Mars
Sucellus dieu des bucherons
Le contexte local de Campagnacum
Retrouvé sans doute pas très loin du lieu où il a servi, ce bloc aux quatre divinités de La Baudonnière devait avoir un lien avec le Clain qui coule à une centaine de mètres, un peu plus bas, et avec les sources qui l'alimentent. Situé aussi non loin du carrefour de la voie principale Limonum- Karrofium (Poitiers-Charroux) passant le Clain par un gué puis par un pont, et de la voie longeant le Clain vers Sommières, il était facile d'accès. Quant aux représentations de déesses et de dieux guérisseurs, elles rendent plausible l'idée que l'on venait utiliser l'eau des sources ayant des effets bénéfiques, notamment pour les yeux, tout en implorant les puissances divines.
Sanctuaire local ou autel votif ?
De toute façon, cette « pierre aux quatre divinités » est pour l’instant, le vestige le mieux conservé de la présence gallo-romaine sur le territoire de Champagné-Saint-Hilaire.
La réponse pourrait être trouvée dans une fouille systématique du lieu, celle-ci pouvant aboutir à la découverte de la partie inférieure du dé aux quatre divinités, riche en informations. Cette idée ne serait-elle qu'un voeu...pieux.
Carte des grands sanctuaires du Centre-Ouest
Liste de pièces jointes