Auguste Joseph Fenioux, un héros discret contre Hitler

Les Témoignages

Le lien entre cette plaque apposée au 60 rue de Seine à Paris, et cette autre visible dans le cimetière de Champagné-Saint-Hilaire n’est pas évident, et pourtant il est essentiel : chacune désigne le même jeune homme mort le 25 août 1944. Là où repose sa dépouille, il est désigné sous l’identité qu’il a reçue à sa naissance le 17 janvier 1916 : Auguste Joseph Fenioux, désigné communément par son second prénom. Là où il est mort, on a respecté son pseudonyme de guerre : Jacques Francisco*, avec les mêmes initiales : JF., mais on a anticipé sa mort d’un jour.
Entre ces deux identités, il y a 28 ans d’une vie d’aventure et d’engagement. L’histoire de Champagné ne manque pas de ces jeunes audacieux, décidés, pleins de ressources. Auguste Fenioux en est un, dont les neveux sont fiers aujourd’hui de raconter son existence*, et qui est un des quatre héros mis à l’honneur dans l’émission « 13 h 15 le dimanche » de Laurent Delahousse, du 25 août 2014 sur Antenne 2. 

Auguste Joseph Fenioux naît à la Gaudière, sur les hauteurs du Clain, le 17 janvier 1916, dans une famille qui a traversé des épreuves n’ayant rien à voir avec la guerre. Le grand-père Henri Alexandre est né à Vaux en 1851. En 1883, il est journalier dans sa commune natale, quand sa femme Marie Fruchard donne naissance à leur fils François. Mais la maman décède deux ans après. Et en 1906, Henri Fenioux est recensé pour la première fois à la Gaudière, comme journalier. Son statut change le 11 novembre 1908 quand il épouse en secondes noces Marie Giraudon, veuve depuis un an d’Auguste Bourry, à 42 ans. Comme un mois et demi auparavant, son fils a épousé Marie Bourry, la fille de celle qui allait devenir sa femme, Henri Fenioux devient exploitant et son fils domestique. Au recensement de 1911, sous son toit vivent donc les deux ménages son beau-fils Jean Bourry. La présence de celui-ci s'explique par un cas particulier de l'Etat-Civil. La même année 1908, à un mois et demi d'intervalle, Henri Fenioux est allé deux fois à la noce : celle de son fils le 28 septembre et son remariage le 11 novembre. Il est resté veuf depuis 1885 et il a pu épouser Marie Giraudon devenue veuve d'Auguste Bourry en 1907 et mère de Marie. Ce double lien étroit entre les Fenioux père et fils avec les Bourry mère et fille a permis sans doute de joindre les deux exploitations agricoles et d'implanter solidement le jeune Auguste dans le terroir de la Gaudière quand il naît le 17 janvier 1916.
 
François Fenioux a alors 32 ans et donc en âge de combattre, mais il n’est plus à la guerre : il a été incorporé en août 1914, puis réformé pour bronchite emphysémateuse* dès octobre de la même année. A-t-il hérité de la santé fragile de sa mère décédée à 38 ans alors qu'il n'a que deux ans ? En tout cas, il a donné à son enfant une robuste santé, alors que lui succombe à sa maladie chronique à 44 ans, en 1928.
 
Le jeune Auguste est donc orphelin de père dès 12 ans, au moment où il doit quitter l’école de M. Lucien Bonnin. Il a deux sœurs de 5 et 3 ans ses aînées, et un frère plus jeune, c’est dire si sa mère est dans l’incapacité de tenir la ferme. Elle obtient l’emploi de cuisinière chez Monsieur Debenest dans les années 1930 pour élever ses enfants.

Une carrière militaire

En 1935, Auguste a 19 ans, et se considère sans avenir à Champagné. Alors, il devance l’appel et s’engage dans l'armée pour cinq ans le 1er février. Au mois d'avril suivant il est à Oran au 6e Régiment de Tirailleurs Algériens. C’est la plongée dans une odyssée personnelle composée de nombreux actes et de multiples déplacements !
 
Il donne satisfaction à ses chefs puisque le 16 août 1938 il est promu soldat de 1ère classe. Et il trouve son emploi dans l’armée intéressant puisqu’en 1939, avant la fin de son engagement, il le prolonge d’un an. 
 
Revenu en France, il bénéficie d'une permission qui lui permet de revoir sa famille en passant par le Centre de Rassemblement des Permissionnaires d'Abbeville. C'est l'un des 8 centres en France où l'on trie les permissionnaires en fonction de leur lieu de destination, à l'aller comme au retour.
 
Le 8 décembre 1939, fin de la permission, Auguste Fenioux est envoyé aux armées dans le 14e RTA (Régiment de Tirailleurs Algériens) qui fait partie de la 3e DINA ou Division d'Infanterie Nord-Africaine.
 
Le 14e RTA existe depuis 1920. Il est basé en 1939 à Châtellerault, mais il est impliqué dans les combats qui se déroulent à la frontière belge. En avril 1940, la 3e DNA reçoit comme mission de renforcer le secteur fortifié de Montmédy.

La bataille de la Meuse

Insigne du 14e R.T.A.
Devise : Rapide comme la gazelle, solide comme le roc

En mai elle participe à la bataille de la Meuse qui va ouvrir la France aux forces du Reich allemand et qui est nommée dans les livres « la percée de Sedan ». Le 12 mai, le Général français Huntziger tente de modifier le dispositif de défense le long de la Meuse, mais les manœuvres sont entravées par le flot des réfugiés belges, et les soldats doivent rapidement s'adapter à la topographie. Si bien que les chars, les avions, l'infanterie de Hitler avancent inexorablement. Les défenses françaises ne cèdent cependant pas facilement ! La bataille de La Horgne est héroïque, le 15 mai, des chars lourds montent en ligne dans le secteur de Stonne, « ainsi que des fantassins français dont beaucoup de troupes coloniales » (cf Gilles Primout). Auguste Fenioux est de ceux-là. Il n'est ni tué, ni blessé, mais il est fait prisonnier le 8 juin 1940.
Les conditions de l'armistice acceptées le 24 juin par le Maréchal Pétain donnent des destins différents aux jeunes mobilisés : un million et demi vont partir dans les camps de prisonniers, cent mille vont constituer l'Armée de l'Armistice et les autres sont libérés. Auguste en fait partie et le 30 juin, il peut rentrer chez sa mère qui s'est installée à Epanvillers, à quelques kilomètres de Champagné.

Un Membre des Forces Libres

Fin juin 1940, il est donc dans le Poitou, le 18 août 1941, il est à Marseille. Que fait-il dans cette ville qui est encore en Zone Libre ? Sans doute a-t-il tourné en rond chez lui et sans doute est-il nostalgique de la camaraderie des chambrées et des espaces maghrébins ! À Marseille, il reprend du service, il se rengage dans le 6e Tirailleurs algériens.

 
Insigne du 6e Tirailleurs algériens

La Campagne de Tunisie

Mais il peut surtout se féliciter de ne pas faire partie des 60 000 combattants alliés, (dont 12 000 Français et coloniaux) tués, disparus ou blessés. Aujourd'hui, on peut penser à lui devant le monument commémoratif de la campagne de Tunisie 1942-1943 érigé esplanade Habib-Bourguiba à Paris, il est un de « ces soldats qui par leur courage ont redonné l'honneur à la France. Pendant six mois, ils ont peiné et combattu dans les djebels, mal équipés et mal armés ; [...] ».

Dans la Division Leclerc

L'armée d'Afrique est sous l'autorité du Général Giraud, les Forces Françaises Libres sous celle du Général de Gaulle. Les Américains, pour unifier les Forces Françaises engagées avec les Alliés, poussent Giraud et de Gaulle à former ensemble le Comité Français de Libération Nationale. Mais de Gaulle prive peu à peu Giraud de ses responsabilités et engage de nombreux combattants de l'Armée d'Afrique dans les FFL. Auguste Fenioux est l’un d’eux ! Sans doute a-t-il été attiré par la réputation de celui qui n'était encore que le Colonel Leclerc, mais qui était déjà auréolé par l'épopée de sa colonne traversant le Sahara à partir de Koufra, conquérant les postes italiens du Sud de la Libye et venant donner le coup de grâce à l'Afrika-Korps en mars 1943, en Tunisie.
Auguste Fenioux signe son engagement le 1er août 1943 dans ce qui était « la colonne Leclerc », qui est devenue la 2e Division des Forces Libres (DFL), et qui va être rebaptisée 2e DB le 24 août, au départ d'une destinée mythique. Il est affecté au 3ème bataillon de marche du Tchad, à la compagnie d’accompagnement n° 3.

Auguste dans l'épopée de la 2e DR

Nommé Général de Division par de Gaulle le 25 mai 1943, Leclerc entraîne en septembre sa 2e DB au Maroc, au camp de Temara situé au sud de Rabat. Il y complète les effectifs, fait entraîner ses hommes sur du matériel venu des USA et selon l'organisation américaine, et réalise l'amalgame entre les groupes d'origines différentes.

Le Général Leclerc

À partir du 10 avril 1944, après six mois d'efforts, les quelque 13 000 hommes de la 2e DB et leur matériel sont transportés vers la Grande-Bretagne. Auguste Fenioux n'embarque sur le SS Franconia que le 21 mai 1944 à Mers-El-Kébir, le port d'Oran. Ce navire a déjà beaucoup bourlingué puisqu'il a été lancé le 21 octobre 1922 aux chantiers de la Clyde en Ecosse pour la Cunard Line : il a assuré la liaison Liverpool-New York durant les étés, et des croisières en hiver. Plusieurs fois accidenté, plusieurs fois réparé, il est affecté au transport des troupes à partir de 1940.

Le Franconia en 1922, tout neuf

Fait partie de ce voyage un autre homme de la 2e DB, Marcel Wajemus* qui a raconté toute son expédition dans des lettres à sa femme. Grâce à lui, on sait que le transport des troupes jusqu'à Oran en passant par Oujda, ville frontière, a été exténuant en raison de la sécheresse et de la chaleur, qu'il a fallu attendre plus d'un mois l'embarquement dans un vaste camp américain où le cinéma était la seule distraction. On sait également combien en regard des privations dont ils venaient de souffrir, les conditions de vie à bord du navire ont été fastueuses. Une vraie croisière pour notre Champagnois ! Avec un hamac pour chacun, une nourriture abondante et partout de la propreté !

D'après M. Wajemus, personne ne connaissait la destination. Durant les cinq premiers jours, la mer est calme, les gars apprécient leur petit déjeuner avec pain blanc, beurre confiture et café. Mais très vite ils s'ennuient sur le pont, à rêver ou à regarder la mer. Pire ! Celle-ci est agitée de vagues énormes qui secouent le paquebot. Des hommes comme Wajemus, qui ne sont pas sensibles au mal de mer, voient alors leur ration augmenter de celles des camarades dont l'estomac a plutôt envie de se vider que de se remplir !
Enfin, dix jours après le 30 mai, le navire vogue sur la mer d'Irlande, entre dans l'estuaire de la Clyde et accoste au port de Gourok près de Glasgow. L'Ecosse est fidèle à sa réputation : brouillard et froid accueillent au débarquement ceux qui souffraient de la chaleur en Afrique du Nord. Mais les Ecossais eux, sont chaleureux : un régiment joue la Marseillaise et les demoiselles de la Red Cross distribuent thé et cakes.

L'Ecosse n'est en fait qu'une étape, la Compagnie d'Accompagnement n°3 où sert Auguste Fenioux rejoint par voie ferrée la petite ville de Poklington dans le Yorkshire, en Angleterre.

Poklington, le camp de préparation du débarquement des blindés

A une vingtaine de kilomètres de cette ville, près du hameau de Huggate, l'armée britannique a aménagé sur la lande des centaines de tentes qui peuvent abriter huit hommes chacune. Et c'est à nouveau la vie de camp, loin de toute vie civile. Mais la nourriture y est bonne et il n'est pas question de s'ennuyer ! On voit dans le ciel les Mosquitos et les Halifax stationnés à Poklington qui décollent pour des missions de bombardement en France ou en Allemagne et qui atterrissent quelques heures après. Au sol règne de jour une grande activité dans le camp de la 2e DB. « Chaque char, raconte Gaston Eve, devait être muni de lourdes plaques de métal en plus, chacune d'une épaisseur de quatre centimètres, soudées sur les côtés pour fournir à l'équipage plus de protection contre les tirs ennemis. » Il faut aussi peindre sur chaque char le nom que le haut commandement lui a attribué ainsi que l'insigne de la division qui « représente une carte bleue de la France avec la Croix de Lorraine superposée en or ».

Insigne de la 2e D.B. (wikipédia)

Les équipages des tanks sont remaniés. Et quand éclate l'annonce du débarquement en Normandie du 6 juin 1944, l'excitation est à son comble. Le général Leclerc est venu en inspection. Il est sous les ordres du Général Patton
Le Régiment de marche du Tchad n'est pas impliqué dans ce débarquement, mais il doit intervenir en renfort et pour cela attendre que les LST soient disponibles *. En attendant, on galvanise les soldats. Le 21 juin, chacun reçoit l'insigne individuel de la Division, le 3 juillet le Régiment accueille son étendard. Mais aussi en vue des pertes en hommes qui ne manqueront pas de se produire, le Bureau d'Etat-Civil de la 2e DB met à jour ses registres et le 24 juin, Auguste Fenioux
doit révéler son vrai nom qu'il cache sous le pseudonyme de Jacques Francisco, préciser qu'il est célibataire et qu'en cas de décès ou de blessure il faut prévenir sa mère demeurant à Poitiers.
* Le 29 juillet 1944 enfin, Auguste est embarqué à destination des côtes françaises sur le LST 509.

 Le Landing Ship Tank (LST) 509

*Wajemus Marcel memoresistorg : ne les oublions pas ! Lettre à sa femme Madeleine
* « Landing Ship Tank » (LST sur la liste des codes des immatriculations des navires de l'US Navy) signfie Bâtiment de débarquement de chars. C'est un type de navire pour les opérations amphibies conçu à partir de 1940 pour débarquer des véhicules lourds sur des lieux non préparés comme les plages. 1 051 de ces navires furent construits par les chantiers navals alliés et se révélèrent indispensables pour les opérations de débarquement en Europe et dans le Pacifique
* on sait qu'elle habite Epanvillers

Le Raid vers Paris

Le retour sur le sol français est un moment d’émotion souvent exprimé par ces combattants qui ont lutté pour sa libération depuis quatre ans, sur tous les fronts. Ce moment pour Auguste Fenioux se situe autour de minuit, le mardi 1er août 1944 et à Saint-Martin de Varreville, sur la plage d'Utah Beach aux marques encore visibles du 6 juin. Toute la division est là et notamment le 501 e Régiment de Chars de Combat dont dépend sa compagnie d'accompagnement n° 3. Il n'y a plus ces terribles batteries allemandes à détruire mais c'est tout de même une opération gigantesque : rien que le 501e doit décharger 51 chars moyens Sherman et 17 chars légers Stuart. La Division du Général Leclerc a été rattachée selon ses vœux à la 3e armée américaine du général Patton et celle-ci vient de participer à l'opération Cobra qui vient d'ouvrir à Avranches une large brèche dans les défenses allemandes.

C'est par ce « goulot » que Leclerc lance la 2e DB vers Vitré, Château-Gonthier, puis Le Mans, qui est libérée le 8 août. L'ordre est donné de prendre la direction du nord pour reprendre Alençon le 10 et le 13 août 1944, alors que les Champagnois vivent la bataille meurtrière du haras, Auguste Fenioux est en soutien avec le groupement du colonel Warabiot dans la dernière bataille qui doit ouvrir aux Alliés la voie vers Paris : l'élimination de la poche allemande de Falaise. Est-il à Ecouché, à Francheville ou au Cercueil ? Ce qui est sûr c'est qu'il n'est pas dans les quinze tués du bataillon.

Un acteur de la Libération de Paris

Les Britanniques et les Américains ont déploré le manque d'ardeur que Leclerc avait montré, contrairement à ses habitudes, dans la conduite de ses hommes. C'est qu'il est au courant que la Résistance à Paris se prépare à libérer la capitale et il craint ce qui est en train de se passer à Varsovie : les occupants allemands vont mettre toutes leurs forces pour anéantir l'insurrection et produire un désastre.
Auguste Fenioux ignore bien sûr que son destin se joue au plus haut niveau. Leclerc a envoyé des détachements d'éclaireurs vers Paris pour établir des liens avec les FFI, malgré l'avis du Commandement américain. Mais De Gaulle a obtenu qu'Eisenhower, Commandant Suprème des forces expéditionnaires alliées, accepte de lancer la 2e DB vers Paris.
Auguste fait donc partie des 13 000 hommes lancés avec 160 chars Sherman vers une mission qu'ils savent historique. Galvanisée par leur général charismatique, la Division Leclerc réussit à parcourir 200 km en deux jours en s'étalant sur une file d'une centaine de kilomètres. Le 23 août, elle arrive à Rambouillet, le 24 des éléments réussissent à pénétrer jusqu'à la place de la Concorde et de l'Hôtel de ville et établissent les liens avec les FFI qui peuvent maintenant croire en la victoire. C'est le lendemain vendredi 25 août que l'engagement décisif a lieu. Les nids de résistance allemands sont situés dans les bâtiments stratégiques : l'Ecole militaire à l'extrémité du Champ de Mars, la Chambre des Députés sur la rive gauche de la Seine, le Luxembourg, qui dresse sa façade dans le prolongement des rues de Seine et de Tournon et que les Allemands ont transformé en véritable citadelle armée de chars.
 
C'est ce point de résistance que le Caporal-Chef Auguste Fenioux doit contribuer à réduire.

La mort au bout de la rue

Pierre Georges, alias « colonel Fabien », chef des Unités de choc des FFI est chargé de la manœuvre. Il est soutenu au sud et au nord par des éléments de la 2e DB. Au nord, le Lieutenant-Colonel Putz a installé son PC à la « Rôtisserie Périgourdine » 2, place Saint-Michel. Il envoie la 10ème compagnie d'infanterie du 3ème R.M.T et la 2ème compagnie de chars du 501ème R.C.C remonter le boulevard Saint-Michel pour investir le Luxembourg et empêcher la garnison allemande de se répandre dans les rues de Paris.
André Guérard donne sa version, vue du côté des FFI. « La rue de Seine est sous le feu constant du canon d'un char. Des postes de guet et de combat occupés par des FFI armés le plus souvent de révolvers, de mitraillettes et de grenades, ripostent malgré que nous sachions que de grosses quantités d'explosifs (3 tonnes) sont entreposés pour faire sauter le palais du Luxembourg. Toutefois vers 11 heures du matin, nous commençons à respirer, des chars du général Leclerc descendent le boulevard Saint Germain et apparaissent. Vers 11h00 du matin une « blindée » vient prendre position avec nous au coin des rues de Buci et de Seine ; nous faisons la chasse aux miliciens qui tirent des toits. »
 
Quel est alors la position d'Auguste Fenioux ? André Guérard ne peut le dire ! Dans la « blindée »
C’est à dire sans doute un half-track ? En fantassin accompagnant les chars ? Toujours est-il qu'il écrit : « Hélas ! Deux des nôtres sont tués près de nous, ainsi que le caporal-chef de la 2e DB nommé François Jacques *». Comme les FFI n'ont pas de véhicule, le « près de nous » laisse à penser qu'Auguste Fenioux avance vaillamment à pied, avec son équipe et avec les FFI, dans la rue de Seine extrêmement dangereuse, exposé de tous côtés. Il est concentré à fond sur un objectif :
Obliger par la force, la garnison allemande qui tient le Sénat à capituler et ainsi atteindre une étape vers la libération de Paris et la libération de la France.
 
Il est à 500 mètres du Palais du Luxembourg. Il fait chaud. Soudain il s'arrête et tombe, frappé par une balle pénétrante dans le thorax. Il tombe devant l'Hôtel « La Louisiane » où a séjourné Juliette Gréco, où habite Jean Paul Sartre. Il est conduit à l'hôpital le plus proche, rue de Sèvres, l'hôpital Laënnec. Il est 13 heures 50, ce vendredi 25 août 1944, quelqu'un signe l'acte de décès de Jacques Francisco, autrement dit Auguste Fenioux. Il avait 28 ans.

Un half-track devant l’hôtel de ville de Paris

D'où venait la balle meurtrière ? Pas du Sénat certainement car il aurait fallu être un tireur exceptionnel pour l'atteindre au cœur ! Un sniper comme on dit depuis les guerres en Yougoslavie, un tireur embusqué, probablement milicien et français à la fois. Il fait partie des 72 tués que la 2e DB a à déplorer
*Difficile dans l'action violente de respecter les noms, mais il désigne bien Auguste Fenioux par son nom de guerre déformé, Francisco Jacques.

Et Après...

Qui, à Champagné-Saint-Hilaire pouvait se préoccuper d'Auguste Joseph Fenioux né à la Gaudière en 1916, ce 25 août 1944, alors que les Allemands avaient tué ce jour-là sur la route d'Anché, à Romagne et à La Baudonnière, à Gençay et à Saint-Maurice ? Personne.

Mais Marie Fenioux, si ! Comme chaque jour, depuis trois ans jour pour jour, quand elle a vu son fils en permission à Epanvilliers partir en zone libre. Aucun courrier, aucun appel téléphonique, aucune nouvelle de l'armée...elle n'a aucun signe de vie jusqu'au 5 février 1948 où un avis de décès lui arrive par la mairie de Blanzay. La guerre est impitoyable envers les combattants, et le sort peut l'être aussi envers leur famille.

Dès le 22 septembre 1944, un mois à peine après sa mort, le Service des sépultures militaires a fait son travail mais avec une maladresse. Il a enregistré que Jacques Francisco était le pseudonyme d'Auguste Fenioux. Un fonctionnaire a lu l'attestation signée par celui-ci le 24 juin avant d'embarquer en Angleterre. Il a bien envoyé l'avis de décès, à Poitiers comme indiqué sur l'attestation, et en demandant de prévenir Marie Feniaux. Cette erreur de voyelle oblige la mairie de Poitiers à déclarer qu'elle n'a pas localisé cette femme et à faire un retour à l'envoyeur. Mauvaise direction du courrier, mauvais nom de la destinataire, les administrations de l'époque tournent en rond. Alors, Marie Fenioux ne peut plus se faire d'illusion, mais elle veut savoir. Elle écrit alors en 1947 une lettre déchirante au Ministre des Anciens Combattants :  
 
Monsieur le Ministre,
J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que mon fils Fenioux Auguste né le 17 janvier 1916 à Champagné-Saint-Hilaire, engagé volontaire en 1935 au 6ème Tirailleurs algériens, est rentré en France avec son régiment au début de la guerre 1939. Son régiment disloqué, il est venu à Épanvilliers par Blanzay (Vienne), où j’habite, puis est reparti pour la zone libre. Depuis août 1941 je n’ai plus de nouvelles de lui. Je crois qu’il s’est engagé dans l’armée de la résistance ou dans les troupes coloniales. Signalement de la plaque d’identité réelle : Fenioux Auguste, classe 1934 Poitiers. Deuxième signalement : Jacques Francisco, caporal-chef au 3ème corps RMT, matricule 29. Je vous serais obligé, Monsieur le Ministre, de bien vouloir prescrire des recherches pour savoir ce que mon fils est devenu.
 
Cette fois identité et adresse sont exactes, et la maman reçoit confirmation de ce qu'elle redoutait. Le 5 février 1948, par l'intermédiaire de la mairie de Blanzay, elle reçoit un avis de décès de son fils. Elle apprend par le même canal qu'il est enterré au cimetière de Bagneux. Les démarches sont longues pour faire revenir son corps près d'elle : inhumé d'abord à Blanzay, il le sera définitivement dans le cimetière de Champagné-Saint-Hilaire en 1950.  
Après bien des déplacements en neuf ans, le jeune homme de la Gaudière est revenu au pays. Il aurait pu y rester et y vieillir. Il a préféré servir sa patrie, à sa manière, mais dans des conditions qui lui ont été imposées par les événements. A sa manière c'est à dire courageusement, modestement, discrètement.
 
La reconnaissance, elle viendra après sa mort. Sous forme d'une citation à l'ordre de la division n°57 à titre posthume « Gradé d'un magnifique courage. A été tué à son poste de combat lors de l'attaque du Sénat le 25 août 1944, alors qu'il s'était porté lui-même très en avant pour nettoyer une résistance ennemie ». Sous forme aussi de la Médaille Militaire par décret du 15 avril 1954.

À Champagné-Saint-Hilaire, le Conseil Municipal sollicité par Thierry Fenioux, neveu d'Auguste, décide à l'unanimité dans sa réunion du 12 octobre 2011 qu'une « plaque Auguste FENIOUX Mort pour la France avec la date, sera posée au Monument aux Morts ».
 
Enfin pour que ce héros discret représente un modèle, son neveu Claude a entrepris la rédaction d'un roman inspiré des aventures d'Auguste Fenioux.

Conclusion

Pour sûr que l'auteur pourra articuler le récit sur ces quatre aspects de son personnage : 
Un gars qui se détache de ses racines par obligation et par idéal.
Un soldat qui dépend des circonstances universelles
Un combattant engagé pour la reconquête de la liberté
Au total, une leçon : donner un sens à sa vie, consciemment, à la mesure de ses moyens, et le courage alors vient automatiquement et guide une trajectoire intéressante, pour soi et pour l'humanité. Ce courage, ce tonus, fait accepter les risques, c'est cela l'essence de l'héroïsme !
 
Ont écrit ou fait une conférence sur Auguste Joseph Fenioux
André Guérard
Gilles Primout : La libération de Paris
Michel Demezil : « Vie et mort d'Auguste Fenioux, soldat de la 2 eDB